Restaurer le monument et son mobilier
Après la remise en état des couvertures menée en 2016, la programmation a concerné les appartements du midi ainsi que le mobilier situé sur le parcours de visite. De 2017 à 2020, une dizaine de corps de métier a assuré les reprises structurelles, la remise en état des sols, la restauration des plafonds, des murs et des décors peints. Ces travaux ont été réalisés sous la direction de Richard Duplat, Architecte en Chef des Monuments Historiques avec le soutien et l’accompagnement scientifique de la conservation régionale des monuments historiques de la DRAC Nouvelle-Aquitaine.
Si certains restaurateurs ont œuvré sur place comme dans la bibliothèque, les chambres ou le vestibule, d’autres objets mobiliers ont quitté le château pour être pris en charge en atelier et bénéficier des traitements et des consolidations nécessaires à leur bonne conservation, comme c’est le cas pour le lit de Montesquieu et sa parure.
Les peintures de la bibliothèque
Le décor peint médiéval de la vaste bibliothèque fait donc partie des éléments remarquables révélés grâce à cette restauration. Longtemps dissimulé par les armoires qui contenaient les livres collectionnés par la famille de Secondat, le cycle peint - a été dégagé avec d’infinies précautions. Les premiers témoignages relatifs à ce décor datent de 1839. Charles Grouët livre alors une description de la « salle du conseil » : jadis elle était décorée de peintures à fresques fort anciennes, représentant des chevaliers armés de toutes pièces, (…) ; maintenant elles affligent l’œil par leur nudité, l’intendant ayant jugé prudent (…) d’y faire passer une épaisse couche de chaux. Recouvertes lors des transformations apportées dans la pièce, ces peintures représentant des chevaliers sont par ailleurs cohérentes avec les peintures visibles de part et d’autre de la cheminée et sur son manteau. Ces scènes restaurées au XIXe siècle se superposent, elles aussi, à des décors plus anciens. Les premiers éléments étudiés du décor au XIVe ou XVe siècle, l’analyse doit toutefois se poursuivre pour fixer l’iconographie et affiner la datation.
Un traitement "chirurgical"
Le choix de mettre au jour ces peintures a engendré la nécessaire consolidation de l’ensemble du décor. Les restauratrices, Cornelia Cione et Mélissa Donadeo, ont d’abord assuré une analyse du substrat ce qui a permis d’orienter un protocole de restauration. Les revêtements ont été dégagés mécaniquement, à l’aide d’outil de type scalpel. Une consolidation d’urgence des supports et de la couche picturale des zones les plus pulvérulentes a été réalisée après dépoussiérage du décor mural.
Pour les zones les plus fragilisées, un produit à base de chaux a été injecté à la seringue. Le reste de la couche picturale a été nettoyé afin de supprimer la saleté et les poussières grasses déposées en surface. Les lacunes et les fissures ont été colmatées. Le but de la restauration a été de parvenir à un état d’équilibre entre l’amélioration de la lisibilité de l’image et le respect de la création originale ; il a alors été fait le choix de garder globalement les modifications qui ont eu lieu dans le passé et qui font partie de l’histoire de l’œuvre, notamment en ce qui concerne le double décor présent sur les robes des chevaux.
La chambre de Montesquieu : un rare décor de lit du XVIIe siècle
La chambre de Montesquieu est probablement celle qu’il a occupée à la fin de sa vie. Le décor s’est figé progressivement au cours du XIXe siècle et a été conservé depuis, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’intervention des restauratrices sur le lit de Montesquieu contribue à une meilleure connaissance de ce mobilier présenté au public. La structure très simple, avec ses deux colonnes droites légèrement fuselées au pied du lit et deux montants de section rectangulaire en tête, accueille trois matelas : un garni de feuilles de maïs, un second garni de laine (toile de lin ou chanvre à carreau bleu et blanc) et un autre fait de plumes. Le décor est plus exceptionnel avec le ciel, les pentes, le fond de lit et les quatre rideaux confectionnés en damas de soie vert bronze à ample motif floral (XVIIe et XVIIIe siècles) bordées sur trois côtés d’un frangeon, dans la partie supérieure, d’une frange de soie du XVIIe siècle assez décolorée. Un état de dégradation avancé Il était urgent d’intervenir pour la conservation de ce décor exceptionnel. Les tissus, particulièrement les rideaux, exposés pendant de longues années à la lumière étaient très dégradés, lacunaires et déchirés. La soie, très sensible à la lumière, est très fragilisée en devenait cassante. L’ensemble ne tenait que par la présence de la doublure visible par les lacunes. Un lit comme objet de mémoire Cette intervention a permis de révéler plusieurs phases de reprises et de rapiéçages, de nouvelles pièces recouvrant la dégradation des rapiéçages eux-mêmes. Ces pièces sont toutes taillées dans une brocatelle du XVIIe siècle, tissu d’ameublement de « récupération » provenant probablement d’un ancien décor mural du château. Les réparations successives s’expliquent d’une part par les pratiques domestiques de l’époque moderne et, d’autre part, par la volonté des descendants du philosophe de conserver la mémoire matérielle et symbolique du grand homme. En effet depuis la disparition du philosophe, le public vient se recueillir dans la chambre où Montesquieu a passé les dernières années de sa vie. La ferveur des visiteurs pousse même certains à repartir avec des bouts de tissus du lit. Ces mutilations, décrites dans une Notice sur le château de La Brède parue en 1839, sont probablement à mettre en relation avec les grands manques de damas aux découpes nettes observés lors de la restauration. Les choix de restauration ont été orientés de façon à assurer la conservation dans le temps du décor, d’améliorer sa lisibilité et de maintenir sa valeur symbolique et mémorielle. La question du remplacement des tissus un temps évoquée a été abandonnée. Le principe du rapiéçage est préservé par le maintien et la consolidation des pièces tout en apportant une amélioration visuelle. Pendant tout le traitement une attention particulière est portée au respect des coutures, points et fils de montage, sources d’information sur l’histoire complexe du décor et des étapes de sa constitution. Les choix des matériaux sont un compromis entre recherche de solidité et nécessité de ne pas alourdir en ajoutant trop de matière. Le travail de restauration considérable réalisé sur les neuf éléments du décor de lit a été rendu possible par la collaboration étroite de quatre ateliers et une mobilisation d’équipes de restauratrices coordonnées par Violaine Blaise, Émilie Enard, Déborah Panaget et Marie-Flore Levoir. La conservatrice de la DRAC, Florie Alard en a assuré le suivi scientifique. Le décor va retrouver sa place sur le bois de lit restauré et consolidé dans la pièce où dormit Montesquieu.